La stratégie du flou

Que nous dit la « note d’orientations stratégiques » dévoilée par le président de l'université ?

On connaît la chanson : « le travail c’est la santé ». Mais à l’université de Tours, ce serait plutôt l’inverse : la santé, c’est le travail, en tout cas pour celles et ceux qui ont la chance d’intervenir dans ce secteur disciplinaire, ses composantes et ses laboratoires de recherche. Pour les autres, gare à ne pas être réduit·es au rang de substitut ou de complément (alimentaire, comme beaucoup d’emplois).

D’ailleurs, ce n’est pas nous qui le disons, mais le président de l’université lui‐même, à travers sa communication et sa « note d’orientations stratégiques », dont les directrices et directeurs de composantes avaient eu connaissance en exclusivité, et qui a été dévoilée à l’occasion du CA du 5 mai dernier, puis envoyée à l’ensemble de la communauté universitaire.

Soyons clairs : notre critique ne porte pas sur le secteur de la santé lui‐même et sur les collègues qui lui sont rattachés, mais sur ce que cette « note d’orientations stratégiques » dit des modes de gouvernance et de la vision de l’équipe en place pour la man- dature actuelle : structurer le projet d’établissement autour du programme Loire Val Heath et faire de la santé la « signature de l’université » (dans la novlangue managériale). Certes, la « note » ménage les susceptibilités en répétant à l’envi qu’il s’agit de promouvoir « l’interdisciplinarité » de l’université et que les SHS trouveront toute leur place dans la « signature santé » de l’université. Mais ne nous y trompons pas : le projet en marche est bien celui d’une inféodation de l’université de Tours à Loire Val Health, dont on rappellera pourtant que les moyens financiers restent modestes (un peu plus d’1 million par an dans un budget d’un peu plus de 240 millions d’€). La note reprend aussi et mêle tous les mots‐clefs de la novlangue administrative universi‐ taire depuis 20 ans, brassant avec la facilité que procurent les textes produits ou inspi- rés par l'IA une avalanche d’idées suffisamment floues censées plaire aux tutelles (ça ne fâchera pas le gouvernement actuel, au contraire !), financeurs potentiels, collectivités locales, futurs étudiant·es... accessoirement flatter certain·es collègues. N’est plus dis- simulé l’objectif de centrer l’université de Tours autour des disciplines de santé et d’articuler, au besoin aux forceps, des champs disciplinaires ainsi instrumentalisées.

Par ailleurs, aucune prise de position claire sur la réforme en cours de la formation des enseignants premier et second degré, et aucune non plus sur l’expérimentation des COMP à 100% (voir ci-après) ; un dialogue social relégué en fin de document (qui n’a pas été présenté aux organisations syn‐ dicales via le CSA, drôle de conception du dialogue social !), des décisions qui semblent d’ores et déjà actées, par exemple sur le déploiement de l’IA à l’université ou la création de nouveaux indicateurs de suivi de « l’efficacité » (les ama- teurs de reporting qui ont peiné sur les tableaux HCERES ap- précieront !)... et toujours rien sur les 15 CDD qui ne seront pas renouvelés.

Plus grave encore est l’inconsistance scientifique de la dé- marche. La recherche dans tous les domaines est une activité exigeante, requérant du temps, de la liberté et des confronta- tions libres entre collègues partageant une culture commune qui permettent que se dégagent des avancées scientifiques consolidées. C’est sur ce terreau que se produisent parfois par la rencontre de collègues réellement spécialistes de leurs différents domaines des idées nouvelles qui relèvent de l’interdisciplinarité et peuvent le cas échéant la faire prospérer.

Les élu·es de la liste L’Université Ensemble sont largement in- tervenu·es sur ces sujets lors du CA du 5 mai. Ce sont elles et eux qui ont animé les débats et ont fini par obtenir de la

part du président de l’université un aveu important pour comprendre le statut de cette note d’orientations stra‐ tégiques : en réalité, il s’agissait moins de fixer un cap, déjà proposé à l’occasion de la campagne électorale de l’an der- nier, que de satisfaire les exigences du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche qui, en février dernier a demandé ce document à l’établisse- ment, continuant à souffler le chaud et le froid en matière d’autonomie des universités.

« La situation américaine nous montre pour‐ tant clairement tous les dangers pour le maintien d’une recherche indépendante et de qualité d’une dépendance aux financements sur projets et aux injonctions politiques »

Lorsque le diagnostic est mal posé, le traitement n’est pas adapté. La situation américaine nous montre pour- tant clairement tous les dangers pour le maintien d’une recherche indépendante et de qualité d’une dé‐ pendance aux financements sur projets et aux in‐ jonctions politiques, surtout en contexte de dérive nationaliste et climatosceptique.

À l’inverse, c’est bien la défense des statuts et d’un financement pérenne, suffisant et indépendant des pressions politiques, qui seule peut garantir le main‐ tien de l’enseignement supérieur et de la recherche comme un service public.

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